Huile sur toile
vers 1600
171 cm x 108 cm
collection privée
Le tableau, commandé par la cour d'Espagne, nous montre le personnage de pied en tête, assis sur un fauteuil en bois et velours rouge. Toujours désireux de se faire admettre par la cour, on voit ici une peinture pleine de compromis : l'expression chère au peintre est atténuée en faveur d'un style plus séducteur.
Portant la composition révèle plusieurs caractères typiques de la peinture du Greco dans la représentation du cardinal en tant que personnage par rapport à l'espace qui l'entoure, dans l'utilisation de la lumière et de la couleur, dans la touche et enfin dans la dualité dans la composition.
LE PERSONNAGE
Le cardinal fut grand inquisiteur en 1600, puis archevêque de Séville en1601. Le Greco peint le statut social du personnage avec le code de la robe et de la coiffe rouge, ainsi que la bulle posée à terre. La richesse est marquée par les tissus de dentelle blanche, les bagues à chaque main, les lunettes qui soulignent un milieu intellectuel. Le niveau social est suggéré par le velours du fauteuil et par le mur doré. Mais le châssis en bois du fauteuil et l'armoire dans le fond donne un caractère sobre et humble qui présente un aspect plus commun à l'observateur. L'homme paraît ainsi plus proche de nous.
Le cardinal est assis. Mais le drapé du vêtement ne sculpte pas particulièrement la position du corps ; aussi la masse de tissus à l'air de flotter et donne une impression d'instabilité, de rigidité, de raideur et de distance.
Le Greco semble s'attacher davantage à la psychologie du personnage qu'à son portrait purement descriptif. Du cardinal, on ne voit que la peau du visage et celle des mains. A côté de cet effacement du corps, de la disparition du charnel et du sensuel dans la masse de tissus, on voit l'importance de la tête, donc de l'esprit.
L'impression d'instabilité est encore renforcée par la position du personnage dans le tableau. La tête est au milieu de la composition. Le corps, lui est à gauche et contribue au déséquilibre.
Le visage est presque de la même teinte que le mur, jaunie et un peu blême, ce qui donne une sensation de malaise.
L'expression du personnage est anxieuse. La position de la main gauche, crispée sur l'accoudoir marque cette angoisse.
LA LUMIERE, LA COULEUR, LA TOUCHE
Bien que n'ayant que des couleurs chaudes, le tableau dégage une atmosphère presque froide. Ceci est du à la couleur du mur doré, qui tire légèrement vers le vert. N'étant pas une couleur franchement froide, elle a une teinte ambigüe. Très lumineuse, cette surface contraste avec le reste du tableau où ne sont employés que des tons chauds.
On voit dans ce tableau la grande importance des valeurs claires-obscures. Le tableau se découpe en plusieurs zones d'ombres et de lumières qui créent des contrastes entre elles.
La partie gauche est traitée en contraste de valeurs : le personnage clair se détache sur le fond sombre. La partie droite est traitée en contraste de teinte : le personnage rouge se détache sur fond jaune.
La touche picturale est très présente. Le Greco ne cherche pas à effacer la marque du passage du pinceau. Par endroit, on voit la trace laissée par les poils, le mouvement, la vitesse du geste qui le guide.
Les passages de blanc qui forment la lumière sur la robe rouge, les ombres dans la dentelle blanche du vêtement, ainsi que le contraste des lunettes, du regard et de la barbe avec la peau du visage, sont traités de façon brute, grâce à cette touche picturale pure qui ne cache rien.
Le traitement de la lumière sur l'armoire, le sol et le mur a un côté réaliste. En revanche le traitement de l'habit du cardinal est tout autre. La robe est loin de rappeler le volume corporel, ou la souplesse d'un drapé qui suit la courbe des membres. Cela insiste sur l'inéxistence de ce corps caché. Le tissus a un aspect rigide, anguleux, avec un côté presque minéral qui donne une certaine froideur malgré l'emploi des coloris chauds de l'étoffe.
LA DUALITE
Le tableau est construit selon un rythme binaire. On y trouve constamment une chose puis son contraire. L'opposition, comme celle du bien et du mal est très chère au Greco.
On peut voir une première opposition entre la simplicité et la richesse, avec l'armoire (austère, droite, faite d'un matériau sobre) et le mur (qui semble fait d'or).
La décoration est chargée, pleine d'arabesques et de motifs complexes.
Une autre opposition se trouve dans le jeu du carrelage. Le damier confronte le noir et le blanc, le rond et le carré, le courbe et l'anguleux, la forme et la contre-forme. Le Greco relance le jeu en peignant la bulle du cardinal sur le sol : le papier blanc se détache carré sur le rond noir. En faisant ressortir le papier, le peintre construit sa composition en losange, grâce aux quatre points lumineux que forment la tête, les deux mains et le papier.
Le jeu de lumière est repris entre la gauche et la droite. La partie droite étant dans la lumière alors que la gauche est l'ombre. La partie droite pourrait représenter le bien, avec le mur d'or, symbole de pureté ou de sagesse par rapport au mythe de la caverne, en opposition avec le côté sombre, caverneux du tableau.
Le personnage est placé entre ces deux possibilités. Il tourne la tête vers l'obscurité mais regarde vers la lumière ; comme une hésitation, une oscillation, tiraillé entre ces deux possibles.
Cette opposition entre la droite et la gauche, le bien et le mal, est accentuée avec les mains. La main droite du cardinal, la main pure, est posée paisible et détendue le long de l'accoudoir. La main gauche, impure, est crispée. La dualité morale entre le bien et le mal est très marquée, le côté psychologique est primordial.
La position du peintre par rapport à ce thème est montrée par l'importance de la tête du cardinal. Le visage est placé parfaitement au milieu du tableau, alors que le corps est plutôt mis sur le côté. Elle est comme portée en ascension par les deux triangles montant que forme la robe (impression renforcée par le triangle de dentelle blanche).
Bien qu'il soit un portrait de commande, le tableau reste mystique. La part de spirituel l'emporte sur la représentation d'un simple physique.
› page suivante