Renaissance
Un nouveau langage
par Thomas Greiss
La renaissance marque un tournant radical dans l’histoire de l’art par l’abandon des codes visuels utilisés jusqu’alors pour un langage visuel nouveau qui ne sera remis en question qu’au XXe siècle avec l’invention de l’abstraction.
Ce nouveau langage se caractérise principalement par une volonté de créer des images au plus près de la réalité visuelle. Le peintre utilise pour cela des techniques telles que la perspective mathématique, la perspective atmosphérique, l’illusionnisme et le trompe l’œil, le motif à caractère esthétique tout en abordant des thèmes nouveaux comme le portrait, la peinture d’histoire ou les sujets profanes. Dès lors, l’image ne se contente plus seulement d’expliquer, elle veut aussi montrer.
L'IMAGE, TÉMOIN DU CHANGEMENT
Pour comprendre pourquoi l’art a modifié en profondeur sa manière de s’exprimer il faut aborder la question dans son contexte historique et social : si le langage change c’est qu’il ne permet plus à faire passer le message correctement entre celui qui l’énonce et celui qui le reçoit.
Le passage du Moyen âge à la renaissance est marqué par la prise de conscience de l’individualisme et à l’importance donnée à la personne en tant que telle. La guerre de Cent Ans a mis fin, en Europe, au système féodal qui définissait l’équilibre social depuis plusieurs siècles. Les états sont devenus nationaux avec un système administratif complexe au sein duquel la population, au sens général du terme, est devenue une société d’individus. Les monarchies ont su s’imposer face au pouvoir spirituel de l’Église et la diffusion du savoir grâce aux universités et bientôt grâce à la machine à imprimer vont permettre l’aboutissement du courant de pensée propre à la nouvelle époque : l’humanisme.
Bien entendu, un tel changement ne s’est pas fait du jour au lendemain. La renaissance artistique non plus. Des recherches sur le rendu du volume et sur la représentation de la profondeur ont été amorcées avec le gothique international grâce à des peintres comme Giotto ou Lorenzetti entre autres. Il a fallu plus d’un siècle à l’image pour mettre en place les règles mathématiques de la perspective et même une fois cela fait de nombreux peintres sont restés réfractaires au nouveau style et ont continué à s’exprimer de manière traditionnelle.
LA LECTURE DE L'IMAGE MÉDIÉVALE
Au moyen-âge, l’image a pour vocation d’instruire. Le message s’énonce de la manière la plus claire possible pour être comprise au mieux par le lecteur. Le réalisme n’est pas son souci. Le plus important est représenté plus grand que le secondaire. Les motifs graphiques restent symboliques : on représente des personnages plutôt que des personnes, des édifices architecturaux quelconques plutôt qu’une ville en particulier. Cela correspond à la mentalité de l’époque : l’image s’adresse à la population en général, l’individu n’ayant pas encore de place définie en tant que telle dans la société. En général, le message est religieux et rappelle au peuple la conduite à suivre s’il veut sauver son âme le jour du jugement dernier. On montre des exemples de la vie des saints, l’enfer et ses tourments, les effets de tel ou tel comportement dans les illustrations des livres d’heures...
Le récit, lorsqu’il y a récit, est décomposé en cases, chacune d’entre elles contenant une partie de la narration. Un même personnage peut donc être représenté à plusieurs reprises, à différents moments de sa vie. L’ensemble de ces cases formant l’unité globale de l’histoire (à la manière, en quelque sorte, de la bande dessinée d’aujourd’hui) en montrant plusieurs lieux à des temps différents.
LA LECTURE DE L'IMAGE À LA RENAISSANCE
Principalement grâce à la perspective, l’image de la renaissance propose une lecture non plus seulement linéaire, mais en profondeur. La mise en place des plans, de l’avant vers l’arrière, permet le rassemblement en un lieu unique des différents espaces indépendants du style gothique.
Si différents lieux coexistent, ils le font dans un ensemble cohérent dont les transitions des uns aux autres sont le fruit de la mise en scène imaginée par l’artiste.
Techniquement, la perspective autorise le déplacement de l’objet ou du sujet du tableau vers des lieux divers de la scène tout en lui conservant sa prédominance dans le message énoncé.
Par exemple, le personnage principal peut être représenté en arrière-plan mais il gardera son importance par rapport à d’autres personnages en premier plan (représentés plus grands car plus proches) grâce à l’utilisation du ou des points de fuite, des lignes de construction et de la composition générale qui attireront sur lui le regard du spectateur, selon un ordre de lecture choisi par le peintre.
Plus subtile et plus enclin à la suggestion, l’image de la renaissance (et bien entendu postérieure) ne se satisfait plus de la seule portée symbolique de motifs intégrés à la scène. Elle développe alors tout un vocabulaire visuel utilisant principalement la métaphore et la métonymie.
LE NOUVEAU LANGAGE
Désormais les saints et les rois côtoient l’homme du peuple. L’individu, comme dans la société, commence à trouver sa place dans l’image.
Mise en scène et mise en page interagissent l’une et l’autre, ce qui offre au peintre des possibilités de création qui n’ont de limites que son talent et son imagination. Même si la syntaxe reste encore très codifiée à la renaissance, les possibilités et les nuances d’expression tendent vers l’infini. C’est le début de l’âge des grands maîtres.
La perspective et le réalisme ont dirigé l’art vers des horizons nouveaux que les artistes des 5 siècles à venir vont explorer dans les moindres recoins. Dessin, couleurs et matières pour exprimer les sentiments, les passions, le message religieux ou politique. Fantaisie, extravagance, douleur, introspection... Lorsque les artistes auront tout dit et que l’on croira l’art arrivé à son terme, la perspective sera remise en question à son tour et, encore une fois, un nouveau langage verra le jour : celui de l’abstraction.